C. Regnard (Hrsg.): Normes, justice et violences du Moyen Age

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Titel
Quelle régulation? Normes, justice et violences du Moyen Age à l’époque contemporaine.


Herausgeber
Regnard, Céline
Reihe
Rives méditerranéennes 40, 2011
Erschienen
Aix-en-Provence 2011: UMR TELEMME
Anzahl Seiten
166 S.
Preis
ISBN
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Marco Schnyder

Rives méditerranéennes, revue de l’UMR TELEMME (Unité Mixte de Recherche CNRS-Université de Provence), consacre son quarantième numéro au thème de la justice. Certains des articles qui y figurent sont la version écrite de communications présentées lors des journées d’étude «Figures et expression de la régulation. Echelles, dynamiques, pratiques» et «Normes, violences, régulations», organisées par l’UMR TELEMME, qui se sont déroulées à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, respectivement en 2009 et 2010. A ce corpus de six articles ont été ensuite intégrées, dans les Pages jeunes chercheurs, les contributions de deux doctorants.

Ce numéro de Rives méditerranéennes se propose de remettre en question le paradigme d’une justice symbolisant la civilisation et d’une violence étant synonyme de destruction du corps social; et cela en interrogeant «la capacité des institutions judiciaires à embrasser l’ensemble des outils de régulation sociale mais également à parvenir à contenir la violence» (quatrième de couverture). La thématique est abordée depuis plusieurs angles, dans trois espaces géographiques (France, Espagne et Italie) et pour trois périodes (deux articles portent sur le Moyen Age, quatre sur l’époque moderne et deux sur l’époque contemporaine) différents.

Dans son «Avant-propos», C. Regnard résume brièvement, mais de manière très efficace, les lignes directrices de cette publication collective, en mettant également en lumière les principaux apports des contributions, dont elle identifie la richesse surtout dans la capacité à montrer l’existence d’un «espace irréductible d’instrumentalisation ou de résistance aux normes morales, légales ou policières permettant d’éviter les voies de la régulation ou du contrôle proposées par l’Etat» (p. 10).

L’ouverture est confiée à L. Verdon, qui se propose de mettre en lumière les convergences de l’historiographie française en matière de violence – un des moteurs du renouvellement de l’histoire politique bas-médiévale – pour illustrer les nouvelles interprétations des dynamiques du lien social, considéré comme un des éléments majeurs dans la production de l’ordre politique.

Avec L. Faggion, on entre ensuite dans des cas d’étude plus spécifiques. A partir de l’analyse d’actes notariés produits dans le territoire de Vicence entre 1536 et 1564, L. Faggion s’interroge sur les pratiques de négociation et d’accommodement. La perspective d’analyse adoptée se veut large afin de prendre en considération les multiples facteurs en jeu. Parmi les nombreux éléments intéressants de cette recherche, on relèvera le constat de l’existence d’un «pluralisme judiciaire » (p. 38), qui offre aux acteurs une série de possibilités pour la résolution des conflits.

Avec N. Vidoni on plonge dans le Paris des années 1740–1760. L’auteur aborde le paradigme du «processus de civilisation» sous l’angle de la police (p. 43). Dans le dernier tiers du siècle, Paris est considérée comme une ville pacifiée, mais cela au prix d’un contrôle policier peu apprécié par la population, qui finit par moduler ses comportements sur la peur que la police lui inspire. La population intègre le fait que la police est consciente de ce qui se passe, ce qui conduit à une normalisation des comportements, c’est-à-dire à une «civilisation» (p. 65).
Une approche très spécifique est choisie par H. Plant qui se focalise sur l’injure, définie comme un «marqueur social» (p. 67). L’auteur rappelle avant tout l’importance de ne pas limiter l’étude de la justice d’Ancien Régime à la sphère criminelle, qui ne représente que la «partie émergée de l’iceberg judiciaire» (p. 68), mais d’y intégrer le civil, l’infrajustice et les justices subalternes (l’injure est jugée aussi bien en civil qu’en criminel). Le croisement des sources permet d’éviter des lectures unilatérales et faussées. Les modalités du recours à la justice en matière d’injure sont complexes: d’une part les justiciables profitent de l’ambiguïté de cette notion pour choisir les modes de résolution du conflit, d’autre part, leur liberté n’est pas complète parce qu’elle doit s’articuler avec les buts de l’institution.

En abordant le thème des attentats aux moeurs dans la France du XIXe siècle, C. Regnard propose une réflexion fort intéressante sur l’interprétation des sources. L’auteur relève l’écart entre la criminalité réelle et la criminalité jugée, ce qui constitue une difficulté majeure pour les recherches sur la violence. C. Regnard conclut en soulignant comment l’histoire du droit n’est jamais indissociable de l’histoire des représentations et que donc «les statistiques de la justice ne peuvent être lues comme le simple reflet d’une anomie grandissante à laquelle la sanction légale viendrait s’opposer» (p. 106).

Avec A. Nuq, on change radicalement de période et de contexte, en se déplaçant à Barcelone et Valence dans les années 1940–1950. Son étude se focalise sur les tribunaux des mineurs des deux villes, dont l’activité s’insère dans une sorte de «croisade morale» visant à réformer les moeurs des jeunes et des familles (p. 122). À travers cette analyse, l’auteur veut comprendre le rôle de la justice dans un Etat dictatorial aux prises avec un processus de régulation sociale. Différents thèmes sont abordés, parmi lesquels la jeunesse, le genre, la déviance et l’éducation. A. Nuq identifie dans les jeunes filles et les familles des couches populaires la cible principale de ces tribunaux, observe la prépondérance de la morale sur les considérations d’ordre politique et souligne la collaboration entre Etat et Eglise dans cette activité de contrôle et d’éducation. Quant à l’intériorisation effective des normes véhiculées, l’auteur relève des signes indiquant une progressive moralisation, des signes qui seraient tout de même moins nombreux que ceux qui témoignent de résistances envers ces normes. Au sein même des familles on peut trouver de grandes divisions avec un mari résolument contre la religion et, au contraire, une femme pieuse. Ce bilan nuancé contribue à montrer la complexité d’une société espagnole qui porte encore les marques de la guerre civile et qui est caractérisée par des phénomènes typiques de la modernité, comme la diffusion des idées socialistes et la sécularisation, surtout dans certains milieux urbains.

La publication réserve enfin un espace à deux jeunes chercheurs. C. Carlon traite de l’enquête menée par Leopardo da Foligno, pour le compte de Robert d’Anjou, sur les abus et les usurpations de la part d’officiers dans la baille de Moustiers en Provence, durant les années 1331–1333. Le contenu de l’article découle d’un mémoire de master 2 s’insérant dans un projet plus vaste d’édition de l’enquête de Robert d’Anjou (projet Leopardus). Cette contribution se focalise sur une nouvelle forme de violence: les abus dans l’administration; un phénomène qui apparaît dans la première moitié du XIVe siècle et qui accompagne la genèse de la structure étatique moderne.

Le dernier article, signé par J. Saint-Roman, est consacré aux ouvriers de l’Arsenal de Toulon dans les années 1760–1820. L’auteur analyse la construction de l’identité sociale, politique et culturelle des travailleurs toulonnais dans un monde bouleversé par les mouvements révolutionnaires, en se demandant de quelle manière se forme une classe ouvrière au tournant de la Révolution française et si cette dernière y joue un rôle. La tâche s’avère ardue et les conclusions sont nuancées: l’identité maritime de ces travailleurs est indéniable, mais nourrie d’influences diverses; quant à la conscience politique, elle est souvent confuse car «soumise au poids de la tradition, de la hiérarchie et surtout des événements» (p. 161).

Il est bien sûr difficile de proposer des conclusions générales compte tenu de l’hétérogénéité des contextes et des périodes traités, mais on retiendra tout de même la volonté commune, exprimée et concrétisée, de renouveler le regard sur la justice au fil des siècles. Une thématique qui ne peut être comprise qu’en étant abordée par une approche vaste et des perspectives diversifiées, et cela en phase avec l’historiographie la plus récente, qui propose des descriptions plus complexes des sociétés anciennes. Les auteurs, comme C. Regnard et N. Vidoni, témoignent de cette complexité, entre autres en maniant avec plus de prudence les sources et en croisant différents champs d’analyse, comme par exemple ceux de la justice, des sensibilités et des représentations.

Zitierweise:
Marco Schnyder: Rezension zu: «Quelle régulation? Normes, justice et violences du Moyen Age à l’époque contemporaine», in Rives méditerranéennes, no 40, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 138-140

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 138-140

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